
L'émotion est-elle soluble dans le second degré, ou encore, le second degré est-il un cancer de la pensée ?
Voilà le genre de questions que je me pose depuis deux jours, depuis en fait la libération d'Ingrid Betancourt.
Et aussi depuis que je lis certaines réactions à propos de cette libération. Toutes ces moqueries, ces polémiques qui pointent, cette haine parfois, cette dérision souvent.
Moi-même, hier matin, j'ai fait un petit post là-dessus pour être malin, genre c'est de la fiction, une nouvelle série, wouaha comme je suis trop drôle comme garçon.
Et puis dans l'après-midi, je vois en direct les images d'Ingrid (je l'appelle par son prénom maintenant) tombant dans les bras de ses enfants retrouvés. Et là, j'ai chialé comme un orage de mer (mère ?).
Tout d'un coup, j'avais plus envie de faire le malin, de trouver l'angle amusant, décalé, pour parler de ce dont tout le monde parle, parce qu'il ne faut pas parler comme tout le monde de ce dont tout le monde parle. J'étais emporté par une émotion totalement premier degré, rattrapé par l'évidence de mes facultés d'humains à reconnaître un pur moment d'humanité. Une femme, détenue pendant plus de six ans dans des conditions terribles, retrouve ses enfants, qui sont toujours les siens mais qui n'ont plus du tout la même tête, ni à l'extérieur ni à l'intérieur. Point barre. Il y a là-dedans tout un maelström de sentiments qui m'ont sauté à la gueule, avec des questions aussi simples, évidentes, et donc bêtes pour certains que "qui sommes-nous, qu'est-ce que l'amour, pourquoi est-ce si difficile pour certains de se dire je t'aime, ou pourquoi ce serait honteux de pleurer devant la vision d'une maman et de ses enfants qui renaissent les uns aux autres ?"
D'où mon interrogation sur le second degré. Je suis très souvent en mode " je me fous de la gueule des autres, de la vie, de moi-même, car, comme le dit ma copine Dulle "Tout ça va mal finir".
Certes, mais en attendant que ça finisse, parfois ça fait du bien de se sentir simplement un homme, avec des larmes gratuites, qui ne serviront à rien d'autre qu'à soulager ce trop plein d'humanité qui nous submerge quand tout à coup on arrête de faire le con pour accepter de vivre pleinement ce que nul autre ne peut vivre à notre place: des émotions.
Et si je me cache si souvent derrière mon ironie, eh bien hier j'étais à poil. À vif. Et vivre cela pleinement ne veut pas dire pour autant être dupe de la médiatisation, des enjeux, de tout ce bazar autour. Mais merde c'est une histoire de folie quand même, cette femme capturée et libérée. S'il y avait eu autant d'ironie à l'époque où un mec haranguait les foules avant de se faire crucifier, la religion catholique ne serait jamais devenue cette entreprise successful. Et les valeurs que porte Ingrid sont finalement les mêmes (avant que des connards les récupèrent pour en faire tout autre chose, comme d'habitude, on est d'accord). Car si mon émotion était si forte, cela tient beaucoup à la personnalité de cette femme, de son courage, de cette dignité, de toutes les valeurs qu'elles exprime et qu'elle incarne. Qui parmi ceux qui se moquent aujourd'hui, sont capables de dire "je souhaite le meilleur" à des gens qui les ont séquestrés, humiliés, torturés pendant 6 ans ? Qui ??? Alors bordel de merde, juste un peu de respect pour une femme qui dans un monde devenu fou, nous rappelle avec ses mots simples l'évidence de notre condition: oui, c'est l'enfer, oui, nous allons tous mourir, mais en attendant, aimons nous les uns les autres. Putain, voilà le vieux message… Ingrid, nouvelle icône de sainteté ? Comme je ne suis pas croyant pour un sou, je dirais plutôt nouvelle icône d'humanité. Je sais, ça fait grandiloquent, et peut-être que ça perd de sa force dit comme ça. En même temps, je ne sais pas comment le dire autrement, et surtout je n'en ai pas envie.
Voilà, j'avais juste envie de dire aujourd'hui que le second degré c'est bien, mais peut-être que trop de second degré tue le second degré. Et tue aussi quelque chose en nous, de tellement précieux…
Et comme c'est quand même un blog de scénariste, j'ai envie de dire que ça vaut aussi bien dans la vraie vie que dans les histoires qu'on raconte…